DÉCLARATION DU CONSEIL CONSULTATIF DE LA FONDATION ASSEMBLÉE DES CITOYENS ET CITOYENNES DE LA MÉDITERRANÉE (FACM)
Fait à Casa Mediterráneo, Alicante, Espagne, le 10 juin 2022
UNE DÉCENNIE DE RÉSISTANCE CITOYENNE
En ce XXIème siècle, loin d’un quelconque apaisement, les crises ne cessent de se multiplier. Les avantages de la mondialisation sont nombreux, mais ils apportent avec eux d’autres problèmes, dus notamment aux excès du capitalisme, et aux conséquences d’un insatiable appétit de profits qui se fait le plus souvent au détriment des droits humains et d’une croissance économique et sociale qui pourrait bénéficier à un large plan de la planète.
La crise systémique de 2008 a entraîné des conséquences économiques et sociétales dévastatrices dans le monde entier. Les inégalités se sont creusées entre les territoires ainsi qu’au sein même des pays. Ces inégalités ont favorisé l’émergence d’oligarchies dont la richesse s’est accrue de manière exponentielle, alors que, parallèlement, la majorité des populations a souffert une vulnérabilité accrue. La précarisation des conditions de travail a généré la catégorie renouvelée des « travailleurs pauvres », la hausse du chômage touchant en majeure partie les femmes et les jeunes.
Derrière ces effets sociétaux, que rien ne dément et que peu osent réfuter, s’est profilée la dualité politique sécurité-liberté. Des droits acquis et des libertés se sont vus réduits au prétexte de l’octroi de la sécurité. Les chemins ouverts vers la liberté et le renforcement des droits humains se sont refermés.
Simultanément, d’anciens conflits au sein de nos sociétés et entre États, que nous pensions dépassés après les funestes conséquences des affrontements du XXème siècle, se sont aussi ranimés. Ceux d’entre eux toujours non résolus dans les Balkans, au Proche-Orient, en Méditerranée orientale ou en Afrique du Nord, se sont prolongés de manière cruelle. La forme violente de ces conflits, identifiable sur toutes les rives de la Méditerranée, active l’infernale logique du langage des armes en lieu et place des négociations et de la raison.
L’ETAT DES LIEUX
La lueur d’espoir suscitée il y a plus de dix ans par les insurrections populaires en Méditerranée a été éteinte tant par les interventions extérieures faites au service des intérêts économiques des oligopoles de l’énergie ou de leurs ambitions de domination, que par des forces politiques réactionnaires intérieures à ces pays. Ces dernières, d’abord surprises puis débordées par l’ampleur des revendications populaires, ont immédiatement repris leurs positions de force, en recourant, ouvertement ou en sous-main, aux vieilles méthodes de répression et de censure.
L’intervention d’acteurs régionaux et mondiaux sur toute les rives de la Méditerranée inquiète amplement. Elle est lourde de conséquences, que cela concerne les interventions directes et violentes comme en Libye ou en Syrie, ou l’occupation qui persiste en Palestine.
En Europe, l’élargissement vers l’Est de l’Union Européenne a été suivie, pour ne pas dire inspirée, par une expansion de l’OTAN, avec l’intention à peine voilée de vouloir encercler la Russie, dans une sorte de remake de la Guerre Froide. Cela a d’abord conduit à la régression des avancées sociales et politiques dans tout l’Est de l’Europe, puis à la guerre, provoquée en bonne partie par la Russie, et dont l’évolution est imprévisible, quoique les conséquences dramatiques.
Par ailleurs, la sortie du Royaume-Uni de l’UE permet aux élites oligarchiques anglo-saxonnes de faire jouer leurs intérêts : en développant la course aux armements au profit de leurs complexes militaro-industriels, en contrôlant la production alimentaire et les prix au profit des entreprises agroalimentaires et, bien sûr, en affirmant leur domination sur les sources d’énergie fossiles, main dans la main avec plusieurs des pays de la Péninsule arabique.
De toutes parts, la régression des libertés et des droits humains se traduit par le renforcement des régimes autoritaires ou dictatoriaux, ou par le détournement des pseudo-démocraties libérales, à l’instar de ce que l’on voit dans le cas de certains gouvernements de l’Est de l’Europe. Elle implique également des effets collatéraux négatifs sur les sociétés : citons pour exemple la propension à considérer les migrations comme une menace, réflexe qui prévaut sauf quand les intérêts particuliers recommandent d’adopter une attitude généreuse et solidaire, comme c’est le cas à l’égard des réfugiés et migrants ukrainiens, dont il faut bien convenir qu’ils ont été accueillis d’une manière différente comparé à beaucoup d’autres migrants qui les avaient précédés.
Les systèmes en place pratiquent aussi une politique du « deux poids, deux mesures » lorsqu’ils qualifient le régime russe d’autoritaire et dictatorial tout en se compromettant volontiers avec des régimes théocratiques et absolutistes types beaucoup de leurs alliés du Golfe, ou l’Égypte, pour ne citer que quelques exemples.
L’universalisation des valeurs et des principes démocratiques, préconisée après l’implosion de l’URSS, est donc reportée, même dans les démocraties établies, qui se disent d’ailleurs pleinement démocratiques. Le réarmement est désormais la priorité des gouvernements et des institutions supranationales, au mépris des revendications des majorités sociales, orientées, elles, vers la paix et la lutte contre les inégalités.
La pandémie du COVID 19 est venue s’ajouter aux crises économique, sociale, politique, militaire et culturelle, à laquelle s’ajoutent aussi les effets imparables du changement climatique. Dans ce contexte, les crises sanitaires et environnementales auxquelles les citoyen.ne. S accordent une importance prioritaire ne reçoivent pas l’attention universelle qu’elles mériteraient.
La société civile, les citoyen.ne.s, sont écartés de la prise de décision, de la formulation des objectifs et des priorités qui leur bénéficieraient. La logique de l’utilisation de la force brute et la répression des activistes dominent dans certains cas ; dans d’autres, c’est la logique de la recherche des profits croissants qui prévaut, entretenue par les crises. Elle aboutit à une décrédibilisation grandissante des pays prônant la démocratie représentative. La perspective de l’augmentation des flux migratoires fait de la mobilité intra-méditerranéenne une question essentielle.
Les réponses politiques institutionnelles aux exigences populaires pâtissent, pour leur part, d’un signal toujours plus faible. C’est le cas de l’Union pour la Méditerranée (UpM), dont la langueur contraste avec la violence que l’on voit souvent déchaînée contre les citoyen.ne. s des États membres. C’est aussi le cas de l’Organisation des Nations Unies, qui peine à peser dans la résolution des situations de conflits et de crises démocratiques telles que celle qui touche actuellement la Tunisie.
La subordination de certains de nos États et de quelques institutions de l’Union Européenne à la politique économique et militaire des États-Unis d’Amérique, prouve aussi leur faiblesse structurelle dans cette partie du monde, même si la Russie était et demeure une menace potentielle pour la cohésion de leurs rangs.
Enfin, la complicité de l’UE dans ce schéma stratégique est évidente dans le cas de l’Ukraine, mais également dans le cas du Sahara occidental, des colonies israéliennes en Palestine, sans oublier la tolérance précédemment évoquée de beaucoup de régimes dictatoriaux.
PROPOSITIONS
Dans ce contexte, le Conseil consultatif de la FACM :
- Réaffirme les principes contenus dans sa Charte fondatrice et appelle à une participation croissante et effective de la société civile dans tous les pays et en particulier dans la région méditerranéenne ;
- Condamne la régression à laquelle sont soumises nos sociétés en matière de démocratie, de libertés et de respect des droits humains, culturels, économiques et sociaux. Elle s’inquiète aussi du recul de la liberté de la presse, de la liberté religieuse et des potentielles violations des lieux de cultes ;
- Manifeste son inquiétude face à la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays européens ;
- Constate et s’alarme de l’aggravation des difficultés de circulation pour les citoyen.ne. s entre les Etats de la Méditerranée, européens comme non européens ;
- S’alarme devant les conflits de plus en plus menaçants liés à la propriété et à la gestion de biens communs tels que la terre, l’eau, l’énergie, la nourriture, les terres rares et les minéraux stratégiques ;
- Répète son opposition à l’augmentation de la course aux armements qui, outre le danger qu’elle constitue pour les populations, réduit les ressources disponibles pour la santé, l’éducation, les services sociaux, l’amélioration de l’environnement et la lutte contre les inégalités ;
- Pointe le fait que l’origine et les effets des multiples conflits en Méditerranée dépassent les pays riverains de la Méditerranée, pour atteindre les pays du Sahel et du Moyen-Orient ;
- Déclare que les politiques de bon voisinage et de coopération ne doivent en aucun cas être utilisées comme des prétextes sécuritaires destinés, entre autres, à limiter des flux migratoires considérés par certains – le plus souvent à tort – comme une menace ;
- Souligne son inquiétude face aux tensions croissantes entre le Maroc et l’Algérie, entre la Grèce et la Turquie, ainsi que face aux régressions observées dans les pratiques anti-démocratiques de pays comme l’Egypte, la Tunisie et la Turquie. Elle s’alarme des récentes tensions entre le Maroc, l’Algérie et l’Espagne à propos du Sahara occidental ;
- Appelle à ce que la volonté, la maturité, la ténacité et la capacité des citoyen.ne. s et de leurs institutions démocratiques soient reconnues comme des outils susceptibles de construire des alternatives qui, mettant fin à la régression, puissent redonner de la dignité aux peuples et leur permettre d’avancer et de regarder l’avenir dans la paix, l’harmonie et la liberté ;
- En appelle à un cessez-le-feu en Ukraine et à la mise en place de mécanismes de suivi transparents pour son établissement.
- En appelle enfin à une coopération renforcée entre les États, avec pour priorité les questions urgentes de la paix, de la protection de l’environnement, de la démocratie et du respect et de la consolidation des droits humains.
LA FONDATION ACM
Au cours de sa décennie d’existence, la Fondation Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée (FACM) a fait preuve à maintes reprises et sans ambages de sa contribution à la compréhension, à la connaissance mutuelle, au dialogue entre les cultures et les convictions, avec pour objectifs la paix, la liberté, l’intégration et l’engagement à éradiquer les inégalités dans nos sociétés.
La FACM préconise la construction urgente d’alliances à l’instar de ce qui a été accompli récemment avec l’adoption de la Convention de Palerme sur les droits humains dans la région méditerranéenne. La Fondation ACM, qui rassemble des citoyen.ne.s originaires de tous les pays méditerranéens, est l’un des acteurs clés des actions citoyennes. Elle se veut une force collective qui agit en faveur de la paix, du respect des droits des migrants, des femmes et des jeunes. Elle travaille pour une renaissance de la culture, pour une réforme radicale de l’éducation, pour la protection de l’environnement, et contre toutes les formes de dictatures et les menaces pour la démocratie auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui.
CASA MEDITERRÁNEO/ALICANTE/ESPAÑA/10 JUNIO 2022